Les politiques d’autosuffisance alimentaire mises en place des décennies durant au Sénégal n’ayant jamais pu atteindre les effets escomptés, les zones rurales peinent encore à assurer leur sécurité alimentaire. Cette année, la situation s’est exacerbée avec le mois d’août qui constitue l’épicentre de la période de soudure dans notre pays, pour la simple et bonne raison que cette période se caractérise par le recours à de stratégies de survie par les populations vulnérables avant les récoltes qui interviennent généralement dans la seconde moitié du mois de septembre.
Cette année encore, la soudure est durement ressentie par les ruraux car la production agricole de l’année écoulée n’arrive pas à couvrir les besoins alimentaires de ces populations pendant près de douze mois. Niémar Sarr, conducteur de charrette, révèle : «J’ai quitté mon village pour venir m’installer à Dakar afin de mener des activités de transport pour subvenir aux besoins de la famille. Les rendements de nos exploitations ont été faibles. Tous les jours, je fais un transfert d’argent à ma famille qui est au village. Le mois d’août est une période pendant laquelle les choses sont compliquées pour nous, les habitants des zones rurales. Il n’y a pratiquement aucun grain de céréale dans les greniers car beaucoup de ménages ont épuisé leur stock de nourriture». Selon un fonctionnaire du système des Nations Unies présent sur le terrain, « l’hivernage 2023 n’a pas permis dans certaines zones du Walo d’être inondées. Les paysans de la région du fleuve n’ont pas pu s’adonner aux activités de culture de décrue qui permettent de compléter les récoltes. Cela a aggravé les effets de cet hivernage avorté (baisse de la pluviométrie), d’ici aux premières récoltes. Les populations vivant de l’agriculture pluviale et de décrue vont être en insécurité alimentaire ». Et de préciser dans la foulée : « Il faut agir très vite, sinon on risque de tomber dans une crise alimentaire relative. Le Sénégal n’est cependant pas dans une situation de famine que l’on rencontre dans les pays où sévit la guerre ou la sécheresse ». En réalité, la production agricole n’assure pas aux producteurs une sécurité alimentaire en termes de pouvoir d’achat.
Qui plus est, les vivre de soudure ne sont plus distribués dans le monde rural depuis le départ des Socialistes du pouvoir. L’avènement d’Abdoulaye Wade en 2000 avait suscité beaucoup d’espoir au sein des populations rurales. Mais tout a fini par s’émousser malgré les promesses faites aux paysans quand le «Pape du Sopi» était dans l’opposition. Sous le magistère du Président Macky Sall, le monde rural n’a bénéficié que d’une seule distribution des vivres, lors de la crise sanitaire, en l’occurrence la Covid-19 et l’octroi de bourses familiales pour abréger les souffrances des ménages démunis. « Nous sommes abandonnés à nous-même. Les récoltes n’ont pas été bonnes, durant cet hivernage 2023. Tout ce que nous gagnons ici, nous sommes obligés de le partager avec les parents au village. Il n’y a plus de ristourne et la distribution de riz pour venir en aide aux masses rurales», déplorent les ruraux rencontrés.
En avril 2024, les nouvelles autorités en place ont décidé de changer de modèle en optant pour la souveraineté alimentaire en tant que concept opérant face à deux autres concepts que sont l’autosuffisance et la sécurité alimentaire. L’ancien Secrétaire Exécutif du Conseil National de sécurité alimentaire (CNSA), par ailleurs Professeur de Géographie et d’Histoire, consultant en sécurité et souveraineté alimentaire et en planification, Ali Mohamed dit Séga Camara, précise : « la souveraineté alimentaire (qui peut être un moyen) ne se confond pas avec la sécurité alimentaire (qui est une fin) ni avec l’autosuffisance alimentaire. Ce dernier concept est la capacité de satisfaire tous les besoins alimentaires d’une population par la seule production nationale ». Pour satisfaire les besoins alimentaires des populations sénégalaises, l’ancien Secrétaire exécutif du Conseil national de sécurité alimentaire rappelle que « l’Etat est tenu de se référer aux normes internationales standards de la FAO en vigueur qui veulent qu’une personne doit consommer 185 Kg par an, soit 15, 4 Kg chaque mois en multicéréales pour s’assurer de ses apports énergétiques journaliers afin de se maintenir en vie. Une adaptation de ces normes en mono céréale, au Sénégal, permet de voir que l’individu a besoin de 70 Kg de riz au cours d’une année ; soit un ratio de 5,8 Kg par mois ». En vérité, pour satisfaire les besoins de la consommation humaine, le Sénégal doit produire près de 3millions 330 mille tonnes de céréales au minimum, si l’on base cette extrapolation sur les données de référence multicéréales citées plus haut, pour une population de l’ordre de 18 millions d’âmes. Les superficies emblavées dans le pays sont cependant loin d’être proches de cette réalité.
LAMINE DIEDHIOU