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A moins de vouloir bâtir un « Etat pastéfien », le ministre Ibrahima Sy n’est assurément pas à sa place. A plusieurs niveaux s’expriment des préoccupations aux antipodes de l’espérance de rupture. Le sillon de la désinvolture s’élargit
L’animateur Boubacar Diallo allias Boub’s, racontait hier mercredi, lors de l’émission « xew xewu jamano » sur Iradio, une anecdote vécue. Un jeune homme de ses connaissances qui lui a demandé s’il ne connaissait pas une personne en besoin de rein à acheter après que ce dernier lui ait demandé de patienter jusqu’au lendemain pour qu’il puisse répondre à sa sollicitation. Il était donc prêt à se livrer à une telle transaction après avoir vu des émissions de télévision s’épancher sur l’existence de ces pratiques. Cette demande glaçante, qui rend compte d’une désespérance dont la survenue correspond à une période d’embrouille où l’on ne sait plus où donner de la tête. A l’image de cette série macabre de pirogues migratoires qui continuent d’embarquer les rêves de nombre de jeunes escomptant échouer sur la terre ferme des Iles Canaries assimilée à un eldorado. Si d’aucuns y arrivent, un grand nombre bascule dans un cauchemar, engloutis dans les profondeurs océanes suite à un naufrage. Ainsi vit-on au Sénégal, depuis quelques jours, au rythme insoutenable de corps régurgités par la mer, repêchés et ramenés sur les plages. Ce sont de jeunes hommes et femmes, de toutes conditions sociales, qui se livrent à cet exercice où même les bébés ne sont pas épargnés.

« Barça ou Barsax », lancent-ils en chœur portés par une sorte de loterie qui tutoie la vie ou la mort. A jeu égal. Même si l’on se demande pourquoi se risquent-ils à cela plutôt que de tenter tout ce qu’il est possible pour s’en sortir chez eux, tels l’auto-entreprenariat, l’investissement dans l’agriculture, il demeure que cela interroge nos chercheurs, nos sociologues, pour expliquer ce qu’il se passe jusqu’à libérer autant de pulsions suicidogènes.

Un questionnement d’autant plus nécessaire que l’on se souvient qu’en 2000, avec l’avènement de la première alternance politique, 40 ans après l’indépendance, il y avait une grande respiration démocratique avec une libération fulgurante de poumons longtemps comprimés et qui pouvaient se réoxygéner enfin. Il y avait une forte espérance qui s’est déversée avec une vague de jeunes diplômés qui ont pris le pari de quitter un travail bien rémunéré en Europe, à l’appel d’un opposant historique qui les avaient entraînés dans ses promesses de transformation du visage du Sénégal et de leurs quotidiens respectifs.

Un espoir structuré autour d’un slogan mobilisateur : « Travailler. Toujours travailler. Encore travailler » leur a été proposé comme catalyseur. Avec en arrière fond les promesses d’un changement institutionnel : Une justice ; des organes de contrôle qui font leur travail ; un Etat protecteur et non partisan. Très rapidement, la désillusion a douché les espoirs lorsque les propos de jour de victoire de l’opposant historique ont été étalés sur la place publique. « Nos problèmes d’argent sont maintenant terminés », avait-il confié à son directeur de campagne, s’inscrivant ainsi dans la perpétuation d’un Etat vache à lait et nourricier. Le désenchantement s’en était suivi. Comme un chat échaudé craignant l’eau froide de la désillusion, nombre de gens aux préjugés favorables sont dans l’attente de voir que cette nouvelle alternance portée par la jeunesse va dans le bon sens.

Loin d’être prometteurs, les premiers signaux laissent d’ailleurs penser que les promesses de campagne ne valent que pour celles et ceux qui y croient. Les appels à candidature et la rationalisation des agences mis en berne, on continue de nommer aux postes de direction comme si de rien n’était, sous prétexte qu’il y a des préalables administratifs qui ne sont pas encore au rendez-vous. Les fonds politiques naguère décriés sont toujours de mise. La rupture ensevelie, la continuité s’éternise. Un surplace incroyable bercé par un regard politicien qui tourne le dos à l’intérêt général. L’obsession partisane en lieu et place de l’empathie pour autrui. Le patriotisme de parti au-dessus de la patrie. Avec une telle vision, il va de soi que l’on ne s’en sortira pas facilement.

A-t-on d’ailleurs idée de voir un ministre de la République, celui de la Santé, affirmer à ses partisans « donner systématiquement sa priorité aux candidatures issues du parti Pastef lorsqu’il reçoit des CV ». Tout à essayer de trouver des propos de langage censés le dégager de ce sable mouvant, Ibrahima Sy n’a fait que s’enfoncer encore plus en expliquant que dans son cabinet ministériel « il n’y a aucun profil politique ». A l’en croire, il privilégie toujours les compétences, l’expérience et le savoir-faire pour qu’en définitive, les résultats priment sur toutes les autres considérations. Et de s’égarer dans l’indéfendable en affirmant : « A compétence égale, je ne pense pas que cela soit un délit de promouvoir un cadre de Pastef qui est aussi un Sénégalais bien méritant ». Là n’est surtout pas la question puisque la nomination doit être « aveugle », c’est-à-dire basé exclusivement sur la compétence comme le souhaiterait la tradition républicaine. A moins de vouloir bâtir un « Etat pastéfien », force est de constater que le ministre Ibrahima Sy n’est assurément pas à sa place. Il devrait plutôt se retrouver au niveau des instances du parti et laisser la place à une personne autre dont l’obsession est le Sénégal.

La rupture dont il est question consiste à s’engager à ce que plus jamais, le parti ne soit mis au centre de la gouvernance étatique. Au regard de tout ce que l’on observe, malheureusement il faut se résoudre à l’idée que cette éventualité n’est pas pour demain. A plusieurs niveaux s’expriment en effet des préoccupations aux antipodes de cette espérance. Aussi est-on en droit de s’inquiéter en constatant que s’élargit le sillon de la désinvolture.

Ainsi en est-il du ministre Oumar Diagne et son engagement à ériger une mosquée à la présidence. Pays de croyants, de brassages culturels, ethniques comme on se plait à le rappeler, surtout en cette veille de Maouloud, il y a donc à traiter les Sénégalaises et les Sénégalais avec une égale dignité, en évitant de s’inscrire dans une logique de majorité et/ou de minorité confessionnelles. Dans la perspective qu’il dessine, Oumar Diagne nie les autres à moins de les considérer comme des citoyens de seconde zone. Qu’il penche pour la construction d’une mosquée en lieu et place de salles de prières aménagées l’oblige à penser à celle d’une chapelle pour les fidèles chrétiens, d’un autel pour les adeptes des religions traditionnelles. Le palais de la République faut-il le rappeler, appartient aux Sénégalaises et aux Sénégalais quelles que soient leurs origines et aucune exclusion n’y est tolérable.

La perpétuation du système, c’est encore cette chose incompréhensible qui voit un pan de l’avenue Léopold Sédar Senghor barricadé, interdit à la circulation piétonne. De telles dispositions n’avaient pas cours sous Senghor ni sous Abdou Diouf ni sous Abdoulaye Wade, à part une gestion ponctuelle de manifestations dans cet espace sensible. C’est sous Macky Sall qu’un tel dispositif a été mis en place. Il est donc à déplorer que les nouvelles autorités s’installent dans ce sillage, privant les populations et les touristes comme naguère de continuer à admirer la devanture du Palais et de se faire photographier avec les gardes rouges. Il est plus que temps de s’investir dans ce qui répond aux attentes urgentes des populations et enrichir son système démocratique.

Démystifier le pouvoir, c’est en domestiquer les apparences en déroulant une simplicité subversive toute tournée vers l’amélioration des conditions de vie des populations, en se positionnant comme un serviteur soucieux de leur bien-être. Les enjeux sont dans l’effectivité des réponses apportées et non dans les effets d’annonce, encore moins dans les foucades.

Une manière de rappeler que le bail de cinq ans qui a été contracté avec le nouveau pouvoir est de transformer le pays autour des urgences que sont l’emploi, l’agriculture, l’école, la santé. Et parce que le temps presse, il est important de prendre exemple sur des expériences concluantes à l’image de Singapour qui a montré que le possible est le chemin, à condition de s’en donner les moyens avec détermination et rigueur. Aujourd’hui, il est le premier pays au monde en enseignement des mathématiques et des sciences, le troisième pays le plus riche au monde. Toutefois, s’il est vrai que les tenants du pouvoir sont aux manettes depuis quelque six mois, il est prématuré de juger sauf à dire que l’on ne sent pas frissonner des pratiques prometteuses. En attendant l’impatience sourde.

Vieux Savané

editor

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