Le Tamba Dibi et le Dialan Bantan sont deux vestiges de l’empire du Gabou. Ces génies protecteurs représentés sous forme d’arbres fétiches constituent la mémoire vivante de Payoungou dans le département de Vélingara (région de Kolda).
Par Ibrahima KANDE (Correspondant)
Majestueux et fier. Debout seul sur le vague terrain de la bourgade. Le « Tamba Dibi », nom prêté à l’arbre fétiche de Saré Ansou, dans la commune de Wassadou (département de Vélingara), trône en maître absolu. Ce sanctuaire mythique et mystique au feuillage touffu garde la mémoire vivante du passé glorieux de l’empire mandingue du Gabou. C’est sous l’ombre bienfaiteur de ce grand arbre sacré qu’ont été écrites les plus belles pages de l’histoire des « Nianthios » (titres des souverains mandingues du Gabou). Passage obligatoire de tout roi, le « Tamba Dibi » a bercé et protégé tous les rois qui se sont succédé sur le trône de l’empire du Gabou, selon Mamadou Bâ, acteur culturel et Secrétaire général de la mairie de Vélingara. Mais pour en savoir plus, il faut voyager, plonger au cœur du Patiana, dans le Vélingara des profondeurs, aux confins de la commune de Wassadou.
De Vélingara à Diaobé-Kabendou, la route est parfaite, droite sur 40 kilomètres. Mais le périple débute à partir du village de Kabendou. À bord d’une moto, on arpente une piste argileuse infernale. L’horizon est plat, piqueté d’arbres et d’herbus. On cogne nids de poule, creux et flaques d’eau, par endroits.
On avale successivement les villages de Kolda Molo, Takoudiala, Saré Wonia, Wassadou…, puis Saré Ansou et Payoungou. On arrive exténué, après plus de deux heures de piste brûlée de brousse.
Cette matinée-là, Payoungou, carré de terre lové au cœur du Pathiana, se découvre derrière une forêt dense et verdoyante. Le village charme par ses cases et ses bâtiments modernes, ses pistes vouées au piéton et à l’animal et ses passages abrités du soleil et de la pluie.
À Payoungou, toute la vie est régie autour du respect de l’interdit et du tabou. Seules les personnes initiées et autorisées ont droit à la parole. Ce groupe de personnes, à sa tête le chef du village, est le seul habilité à causer avec les visiteurs, hôtes du bourg. Et c’est Moussa Sané, chef de village de Payoungou, qui narre le passé-présent de cette localité repliée sur elle-même, loin des turpitudes de la modernité.
Assis sur un lit en bois, le patriarche de Payoungou appuie sur la machine à remonter le temps. « Tout futur roi devait impérativement passer par le Tamba Dibi, le génie protecteur réincarné sous la forme d’un arbre qui porte son nom. Cet arbre sacré était donc un passage obligatoire de tout aspirant au trône royal. Les villageois avaient besoin de l’avis des djinns qui devaient approuver ou désapprouver le choix porté sur le futur souverain du Gabou », explique, d’emblée, M. Sané.
Le chef de village de Payoungou de poursuivre que lors de l’intronisation du futur roi, sous l’ombre du Tamba Dibi, apparaissait un aigle blanc qui s’adressait directement aux ancêtres. Seuls les sages du village et les initiés assistaient au rituel. On raconte que les villageois immolaient vaches, chèvres et coqs en guise de sacrifices en l’honneur du Tamba Dibi. Après approbation du génie protecteur, les sages du village allaient passer à l’étape suivante du « Dialan Bantan ».
Comme le Tamba Dibi, le Dialan Bantan est le nom d’un gigantesque bosquet fétiche attribué à un génie protecteur. Ce qui est valable pour le Tamba Dibi, l’était aussi pour le Dialan Bantan. Le rituel était le même et le tout était couronné par l’apparition de l’aigle blanc. C’est justement après assentiment du Tamba Dibi et du Dialan Bantan que les rois étaient officiellement installés au trône à Kansala (en Guinée-Bissau), capitale fédérale de l’empire du Gabou.
Guerres, épidémies, sécheresse, natalité…
Le Tamba Dibi et le Dialan Bantan, deux vestiges de l’empire du Gabou gardent toujours des secrets inviolables. Des légendes qui font de ces deux arbres sacrés des lieux mythiques et mystiques. Mais ce que l’on sait, c’est qu’en plus de l’intronisation des rois, ces grands pivots étaient des moyens de prévention pour les administrés et les « Nianthios ».
Moussa Sané révèle que l’aigle blanc qui survolait le Tamba Dibi et le Dialan Bantan lors des rituels d’intronisation des rois, sortait aussi, au besoin, pour prédire des calamités telles que les guerres, les épidémies et la sécheresse qui guettaient le pays. Pas que ! L’aigle blanc annonçait aussi des lendemains meilleurs, notamment des hivernages pluvieux et des récoltes records.
À Payoungou, un grand mystère continue de jalonner l’existence des arbres fétiches. Mais aujourd’hui, renseigne Saliou Camara, citoyen du village, quelques rares personnes gardent encore la mémoire vivante du village, et de surcroît, des « Nianthios ». On raconte qu’avec la pénétration rapide de l’Islam dans la zone, les croyances animistes ont presque disparu. Seulement, ajoute Saliou Camara, il y a souvent des visiteurs, en majorité des femmes qui viennent se recueillir sous ces arbres. Elles croient fermement que le Tamba Dibi ou le Dialan Bantan peuvent leur permettre d’enfanter. Et souvent, elles voient leurs souhaits réalisés. Ce qui conforte davantage la légende…
Le Tamba Dibi et le Dialan Bantan n’étaient pas les seuls génies protecteurs de Payoungou. Kéba, un septuagénaire du village, informe qu’en plus de ces deux grands génies, la zone était aussi protégée par Wouroufa wouloumba et Sori dioxé, tous des esprits qui y avaient élu domicile, sous la forme d’arbre. Pour lui, ce n’est pas pour rien que cette localité est une terre interdite aux autorités étatiques et à tout aspirant à un poste administratif. « C’est connu de tous. On interdit à chaque homme de pouvoir ou à un administrateur de passer la nuit dans le village », prévient le vieux Kéba. Pourquoi ? Mystère ! À Payoungou, il y a une constance : on ne brave jamais l’interdit.
Payoungou, terre natale de Janké Waly Sané, dernier roi du Gabou !
Flâner à Payoungou est un délice. Ici, le sol est meuble, les gens gais et les enfants rieurs. En cette période d’hivernage, on croise rarement un jeune dans les rues. Tous, ou presque, sont occupés par les travaux champêtres. Partout dans le village, on clame haut et fort que le dernier souverain de l’empire Gabou, Janké Waly Sané, est né et a grandi dans le village. D’ailleurs, le chef de village de Payoungou, Moussa Sané, soutient que la mère et le père de ce grand roi mandingue qui a marqué son époque, sont nés dans cette zone reculée de Vélingara. « C’est ici, dit-il, qu’est né Janké Waly Sané qui a fait la fierté des mandingues du Gabou. C’est après sa naissance que ses parents ont décidé d’aller vivre et rester à Kabendou dans le département de Vélingara ».