Dans son appartement parisien du 16e arrondissement, Maître Robert Bourgi a ouvert ses portes au « Soleil » pour parler de ses mémoires intitulés « Ils savent que je sais tout ! » à paraître, le 2 octobre prochain en France, aux Éditions Max-Milo.
Pendant quatre décennies, l’avocat et l’un des piliers de la Françafrique a servi au plus haut sommet de la hiérarchie de l’Union pour un mouvement populaire (Ump) et bien avant au Rassemblement pour la République (Rpr), aux côtés des hommes politiques de la droite française, du Président Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy en passant par Charles Pasqua, Jacques Foccart, Jacques Toubon, Dominique de Villepin…
Par Ousmane Noël MBAYE
Paris (France) – Le titre est provocateur, peut-être même menaçant pour certains, mais il est surtout très révélateur de l’indécence des actes de la France sur les Chefs d’État africains. Dans ses mémoires, Robert Bourgi rend d’abord hommage à ses parents et raconte son cursus dans la Françafrique dont il est l’un des principaux piliers. L’avocat fait des révélations sur le comportement des hommes politiques qu’il a servis et leur manière de faire la politique. « Je n’ose pas dire la cupidité pour certains d’entre eux, mais leur goût pour l’argent, pour les chausse-trappes et le côté un peu plus fragile de leur personnalité est sans commune mesure », confie-t-il.
Le titre de livre, « Ils savent que je sais tout ! », témoigne qu’il a « tout vu et tout entendu de ce qui se faisait au plus haut sommet de l’État » français. D’abord aux côtés de Jacques Chirac, alors maire de Paris, patron du Rassemblement pour la République (Rpr), Premier ministre puis Président de la République française. Et ensuite aux côtés de Jacques Foccart, Charles Pasqua, Dominique de Villepin notamment et Nicolas Sarkozy.
Dans cet ouvrage de plus de 500 pages illustré avec des photos et des lettres manuscrites des hautes personnalités étatiques, Robert Bourgi partage, dans les détails, les faits majeurs de la politique africaine de la France. « Quand on parle du coup d’État d’Aziz en Mauritanie, on vous donne les résultats, mais sans dire comment ça s’est fait ni comment le Président putschiste a été reconnu… », soutient-il. Maître Bourgi raconte comment il a vécu ce genre de situation, aux premières loges. Il relate «la manière indélicate, méchante, qui a été utilisée pour faire tomber Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire… ».
La France n’est plus ce qu’elle était en Afrique
Quand bien même la France garderait un poids auprès des présidents congolais Denis Sassou Nguesso, togolais Faure Gnassimbé ou ivoirien Alassane Ouattara, tout ceci n’est que virtuel, selon Robert Bourgi. À entendre l’avocat-politologue, « la France n’est plus la France en Afrique et elle ne le redeviendra plus jamais ». L’influence de la France en Afrique a commencé à diminuer sensiblement à partir de la fin du régime de Jacques Chirac. Il faut reconnaître que Chirac était un maître en matière de politique africaine. Il aimait l’Afrique et les Africains ; il les connaissait, les fréquentait. Il y avait une proximité réelle entre Jacques Chirac, les Africains et les Arabes. Mais aujourd’hui, la place de la France en Afrique est lointaine, derrière la Chine, la Turquie, la Russie, etc., tout simplement parce que les Africains de cette époque ne supportent pas l’arrogance or, la France d’aujourd’hui est très arrogante. Les Africains ont évolué et ne se laissent plus faire comme par le passé ».
La Françafrique qu’a connue Robert Bourgi a eu de mauvais côtés qu’il a voulu dénoncer avec fermeté. Les minerais, le pétrole, le gaz, l’uranium, toutes les matières premières largement exploités à volonté, par l’Hexagone. Au regard de la nouvelle géopolitique africaine et de la posture française dans le continent, il n’y a plus d’interlocuteur en France pour les Africains. « Il n’y a plus ces liens particuliers, familiaux qui liaient les dirigeants français aux Chefs d’État africains. La France d’aujourd’hui, au lieu de menacer ou d’opposer son arrogance aux nouveaux régimes militaires à Niamey, à Bamako, à Ouagadougou et à Conakry, gagnerait à ouvrir des discussions franches, sources de dialogue serein et sincère, car seuls les peuples sont souverains pour choisir leurs dirigeants », conseille Robert Bourgi.
Senghor, rédacteur de la constitution française.
Le Sénégal à une place particulière non seulement dans la diplomatie française, mais également sur le plan mondial. Le Sénégal est la plus vieille colonie française avec une lointaine et belle réputation mondiale pour sa diplomatie. « Quand le Sénégal est malade, parcouru par des mouvements de violences politiques ou autres, le monde se penche sur son cas », avance M. Bourgi. Selon lui, Dakar a un statut particulier en France et dans le monde, « n’oublions pas que Léopold Sédar Senghor est l’un des rédacteurs de la constitution française de 1946. Il y a eu ensuite Abdou Diouf, diplômé de l’École nationale de la France d’Outre-mer (Enfom), Abdoulaye Wade, professeur agrégé de droit à l’Université de Sorbonne. J’étais son étudiant. Macky Sall est un expert reconnu et respecté dans le monde. Qu’on l’aime ou pas, il a porté haut le flambeau et la dignité africaine dans le monde, notamment avec son discours mémorable à la tribune des Nations Unies en septembre 2022 », rappelle l’avocat. Pour marquer la singularité de notre pays dans la politique étrangère française, Me Bourgi nous rappelle la place des représentants du Sénégal à l’Assemblée constituante en France en 1789. « Dans cette Assemblée, le Sénégal portait également les doléances du Gabon, de la Côte d’Ivoire, etc. Blaise Diagne, un Sénégalais, secrétaire d’État aux Colonies, a été le premier Africain dans un gouvernement français, suivi de Galandou Diouf », explique le politologue.
L’Afrique, première mécène des partis politiques français
Selon l’avocat, certains chefs d’États africains ont très largement contribué au financement des partis politiques français, surtout de la droite, et n’ont pas eu en retour la reconnaissance qu’ils méritaient. « Ils ont été certes maintenus au pouvoir par les accords de défense mis en place par le Général De Gaulle et Jacques Foccart, mais ils ont surtout été sauvagement trahis, lâchés par la France », avance-t-il. Et pourtant, quand dans ses révélations de septembre 2011, Robert Bourgi dénonçait cette autre forme de pillage des ressources africaines par Paris, certains chefs d’État du continent lui en ont fortement voulu. Seulement, l’avocat, fort des confidences et de la colère post mortem du Président Omar Bongo, se sentait dépositaire de sa mémoire qu’il a voulu restituer. « J’explique dans le livre que ces révélations avaient été faites sur la demande du Président Oumar Bongo du Gabon en 2009 ; et avec cet ouvrage, j’ai voulu aller beaucoup plus loin dans les révélations », souligne-t-il.