Le 3 octobre 2025, alors que les marchés spéculaient sur une dérogation (waiver) permettant de débloquer des ressources liées à l’ancien programme de 1,8 milliard USD, le Conseil d’administration du FMI n’a pas tenu de vote. La réunion a surtout servi de point d’étape : informer les administrateurs sur l’état des audits, la correction des irrégularités de dette et la trajectoire de coopération à venir. Cette clarification a été confirmée par des dépêches Reuters (pas de vote à l’ordre du jour) et par la déclaration officielle de la Directrice générale, qui « salue les progrès » en transparence et la demande d’un nouveau programme adaptée aux nouvelles priorités.
Deux jours plus tôt, le Département communication du FMI avait déjà préparé le terrain : les discussions pour un nouveau programme devaient s’ouvrir pendant les Assemblées annuelles (mi-octobre), avec un accent mis sur la résolution « constructive » du cas de misreporting. Côté marchés, les obligations sénégalaises ont réagi de manière mesurée, reflétant l’idée d’un reset plus que d’un blocage.
Lecture économique. Ne pas solliciter un vote sur un mécanisme de dérogation à un programme hérité — et en partie déphasé — est un choix de souveraineté de calendrier : plutôt que d’obtenir un “répit” de liquidité, le Sénégal privilégie un cadre neuf calibré sur ses fondamentaux actualisés et sur sa Vision 2050. En langage d’institutions financières, on parle d’un “reset program” : nouveau référentiel, nouvelles cibles, nouveaux jalons de réforme, plutôt qu’un simple roll-over d’un instrument ancien.
Le fait générateur : du « misreporting » aux audits, la restauration de la vérité budgétaire
Le nœud technique provient des passifs non déclarés et déficits sous-estimés. Les missions du FMI (mars, puis août 2025) ont travaillé sur la base d’un audit de la Cour des comptes et d’examens successifs (Inspection générale, puis cabinet international), confirmant des écarts significatifs de dette et de déficit par rapport aux séries initiales. Cette sincérisation a servi de pré-condition à toute reprise de programme.
Côté marchés et notation, la matérialisation des écarts s’est traduite par un abaissement de la note souveraine à B- par S&P, avec perspective négative, sur fond de ratio dette/PIB révisé nettement à la hausse (autour de 118–120 % selon les sources de marché à l’été 2025). Ce choc de transparence a renchéri la contrainte de financement à court terme — tout en créant l’opportunité de repartir sur des bases assainies.
Le pivot sénégalais : PRES + rebasing du PIB = ancre domestique et métrique actualisée
a – Le PRES (Plan de Redressement Économique du Sénégal) : absorber, lisser, investir
Le PRES constitue la réponse endogène à la double contrainte liquidité – crédibilité. Il repose sur quatre leviers complémentaires :
1. Restructuration ciblée de la dette intérieure Conversion/étalement d’arriérés et de créances locales en instruments de marché (obligations domestiques, éventuellement sukuk), afin de soulager la trésorerie sans dépendre exclusivement des bailleurs extérieurs, tout en stabilisant le secteur privé local créancier de l’État. Cette logique est cohérente avec la réorientation affichée par les autorités : davantage de financement domestique et meilleure discipline d’exécution.
2. Titrisation/valorisation d’actifs publics Mobiliser des actifs (foncier, immobilier, participations) pour créer des véhicules de financement non-budgétaires, réduisant l’empreinte immédiate sur le déficit tout en accélérant l’investissement productif (énergie, logistique, agro-transformation, habitat). Cette approche, classique en marchés émergents, gagne en puissance si la gouvernance des véhicules est robuste et auditée (comptes séparés, reporting trimestriel).
3. Mieux capter l’épargne nationale et régionale L’orientation vers les marchés UEMOA s’observe déjà : en juillet 2025, le Sénégal a levé environ 644 M USD sur le marché domestique dans une opération sur-souscrite, malgré la dégradation de S&P — preuve que la demande locale et régionale reste mobilisable à des primes de risque maîtrisées si la trajectoire est crédible.
4. Sélectivité de l’investissement public Prioriser les projets à effet multiplicateur (énergie/gaz, réseaux et ports, systèmes agricoles intégrés, logement abordable) avec évaluations ex-ante, pour élever la productivité totale des facteurs et maximiser l’élasticité de la croissance à l’investissement. C’est le cœur d’un PRES pro-croissance : moins d’étalement non ciblé, plus d’accélérateurs productifs. (Le FMI a indiqué soutenir la logique d’auto-fiabilité budgétaire — sans que cela n’éteigne le traitement du dossier de misreporting.)
Mécanique macro. Si l’on combine : (i) un lissage du service sur la dette intérieure, (ii) des coûts moyens de financement domestique ramenés par la crédibilité du cadre, et (iii) une sélectivité accrue des dépenses d’investissement, on obtient un déficit global qui converge plus rapidement vers la norme de l’UEMOA, avec moins de pression sur la trésorerie et moins de dépendance aux décaissements extérieurs. (Cette dynamique est justement celle recherchée par un nouveau programme FMI crédibilisé par des audits).
b. Le rebasing du PIB : une métrique 2025 pour une économie 2030
En parallèle, le ministère des Finances a lancé le rebasing : mise à jour de l’année de base du PIB pour intégrer hydrocarbures, numérique, services modernes, économie verte, etc. Les précédentes séries sous-captent ces segments et sur-pondèrent l’informel traditionnel. Reuters note que ce rebasing devrait améliorer mécaniquement le ratio dette/PIB — sans changer la charge nominale — tout en clarifiant la structure sectorielle pour les investisseurs.
Ordres de grandeur. Selon l’expérience comparée en Afrique, un rebasing peut ajouter 10–25 % au PIB nominal. Dans l’hypothèse centrale (≈ +20 %), un ratio dette/PIB révisé autour de 118–120 % retomberait vers 95–98 %, et un scénario de consolidation (PRES + nouvelles ancrages programmatiques FMI) l’amènerait dans une fourchette 80–90 % en 2–3 ans si la croissance réelle accélère et si les besoins bruts de financement sont contenus. (À noter : S&P évoquait cet été un ratio autour de 118–120 % avant rebasing, avec besoins de financement élevés en 2025.)
Caveat analytique. Le rebasing ne résout pas la trésorerie ; il recalibre la métrique et améliore la perception de risque si et seulement si la gouvernance des finances publiques (PIP, COM, passifs éventuels) se renforce parallèlement. C’est pourquoi Kozack (FMI) insiste sur le triptyque audits – transparence – fiabilité des rapports comme base d’un nouveau programme.
Effets attendus : notation, coût de la dette, IDE — la boucle de crédibilité
Notation souveraine. Après le choc de juillet (B-, perspective négative), la combinaison PRES crédible + rebasing + nouveau programme FMI peut stabiliser la perspective, puis ouvrir la voie à une révision haussière graduelle. Les agences ont besoin d’exécution (pas seulement d’annonces) : budgets rectificatifs, trajectoires trimestrielles de déficit et dette, et comptes vérifiables des entités publiques. Si cette condition est remplie, la compression de la prime de risque peut atteindre 100–150 pbs sur 12–18 mois (ordre de grandeur observé sur pairs UEMOA/CEEAC post-reset crédible).
Coût de financement. La baisse graduelle de la prime se matérialise sur marchés domestiques et eurobonds. Déjà en juillet, le Trésor a enregistré une sur-souscription domestique (≈ 644 M USD) malgré la dégradation, signe qu’un ancrage local existe si le cap est lisible. Un nouveau programme FMI (“label de crédibilité”) tend à réouvrir des corridors internationaux à des taux plus compétitifs, sous réserve de la soutenabilité illustrée par les rapports FMI.
IDE et portefeuille. Les investisseurs discriminent fortement : ils valorisent la prévisibilité réglementaire, la discipline budgétaire et la roadmap sectorielle (gaz/énergie, logistique, agri-industrie, habitat). Le signal d’auto-fiabilité (élargir la base fiscale sans relever les taux, digitaliser la dépense, fermer les arbitrages non-productifs) a été noté par le FMI comme positif pour la résilience — même s’il n’éteint pas le dossier de misreporting. En clair : PRES pour l’absorption domestique, FMI pour l’effet label, rebasing pour la lisibilité sectorielle ; les trois, combinés, abaissent le risque et attirent l’IDE.
Structuration du nouveau programme : aligner Vision 2050, UEMOA et soutenabilité
Un programme réaliste (2026–2029) articulerait :
Règle d’ancrage : chemin de déficit vers ≤ 3 % du PIB (norme UEMOA) d’ici 2028, avec clauses de sauvegarde (chocs termes-de-l’échange, évènements climatiques).
• Cadre dette : plafond indicatif de besoins bruts de financement et priorité aux maturités longues domestiques/régionales, limitation stricte des garanties publiques nouvelles, cartographie des passifs éventuels.
• PRES : calendrier d’apurement/étalement de la dette intérieure, gouvernance des véhicules d’actifs, sélection PIP basée sur analyses coûts-bénéfices et impact productivité.
• Recettes : élargissement de l’assiette (digitalisation, lutte contre l’érosion), sans hausse des taux nominaux sur le court terme, pour protéger la reprise — logique explicitée par les autorités et notée positivement par le FMI.
• Transparence : publication trimestrielle (déficit, dette, passifs, exécution), audits annuels indépendants, chaîne de valeur open data sur les grands projets.
Scénarios chiffrés (illustratifs, cohérents avec les sources
Point de départ (mi-2025, pré-rebasing)
• Dette/PIB « révisée » : ≈ 118–120 % (S&P / analyses de marché).
• Programme FMI hérité : 1,8 Mds USD (gelé).
Hypothèse de rebasing (2025–2026)
• +20 % de PIB nominal (fourchette 10–25 % observée).
• Mécaniquement, dette/PIB ≈ 95–98 % (à structure de dette constante)
Trajectoire PRES + nouveau programme (2026–2029)
• Déficit global : vers 4,5 % (2026), 4,0 % (2027), ≤ 3,5 % (2028) — compatible UEMOA (cible ≤ 3 %).
• Dette/PIB : < 90 % (2027), ≈ 80–85 % (2028–2029) si croissance réelle ≥ 6 %, passifs nouveaux contenus, et rendement moyen abaissé de 100–150 pbs.
• Investissement privé : +2–3 pts de PIB (relance crédit domestique + IDE ciblés), si “goulots” réglementaires/énergétiques levés. (Ces ordres sont compatibles avec la littérature des reset programs et les signaux de marché récents).
Sensibilité
• Un glissement de +1 pt de déficit retarde la convergence de dette de ≈ 2–3 pts de PIB à horizon 3 ans.
• Une croissance inférieure de –1 pt prolonge de ~1 an l’atteinte de la cible de dette ≤ 85 %.
• La qualité d’exécution (sélection PIP, maîtrise des transferts, gouvernance des véhicules d’actifs) est statistiquement le premier déterminant de la trajectoire de dette dans les pays pairs.
Risques et parades
• Risque de trésorerie court terme. L’absence de décaissements FMI tant que le waiver n’est pas résolu peut créer un pont de liquidité à assurer par UEMOA/Titres, lignes bilatérales et gestion active de la masse salariale. Parades : profilage fin du calendrier de paiements, file d’attente anti-retards sur fournisseurs critiques, et séquençage des investissements.
• Risque de perception. Les marchés pénalisent l’incertitude ; il faut un narratif unifié : PRES (domestique), rebasing (métrique), FMI (label), Vision 2050 (cap). Les briefings réguliers (trimestriels) aux investisseurs/analystes sont décisifs.
• Risque d’exécution. Les véhicules d’actifs et titrisations exigent garde-fous (gouvernance, audit, publications). L’expérience régionale montre que les échecs tiennent moins à l’outil qu’à la transparence de son usage. (Le FMI a mis l’accent sur la fiabilité des rapports budgétaires comme condition sine qua non.)
Ce que change (vraiment) le 3 octobre pour 2026–2030
1. Sortie de la logique “urgence” : on passe d’un financement de transition (1,8 Mds USD, insuffisant au regard des besoins) à un cadre programmatique aligné Vision 2050, avec PRES en pilier domestique.
2. Métrique modernisée : le rebasing permet de raconter l’économie telle qu’elle est (hydrocarbures, numérique, services), d’où de meilleurs repères pour les investisseurs et une meilleure comparabilité régionale.
3. Boucle de crédibilité : audits + transparence → nouveau programme FMI → prime de risque en baisse → retour de l’IDE et relance de la productivité.
4. Leadership régional : un reset réussi ferait du Sénégal un cas-école UEMOA : transformation structurelle sans reniement de la discipline, et mobilisation domestique avant tout. (Les signaux d’oversubscription sur le marché régional confirment l’appétit, si la trajectoire est lisible.)
La patience stratégique comme levier de puissance
Le 3 octobre n’est pas un “blocage” : c’est le point zéro d’un repositionnement. En préférant attendre le rebasing et proposer un nouveau programme plutôt que d’épuiser un mécanisme de dérogation, le Sénégal choisit la qualité sur la quantité, la structure sur le conjoncturel.
PRES pour absorber et investir utile, rebasing pour mesurer juste, FMI pour labelliser et ancrer, Vision 2050 pour diriger : la séquence est cohérente. Si l’exécution suit — audits publiés, tableaux de bord trimestriels, discipline des engagements — la perspective de notation peut se stabiliser puis s’améliorer, la prime de risque se comprimer de 100–150 pbs, et l’IDE se réancrer sur les secteurs à effets multiplicateurs (énergie, infrastructures, agro-industrie, logement).
Dans un environnement mondial volatil, la patience stratégique devient un actif. Le Sénégal montre qu’une économie peut reconquérir la confiance non en accélérant un vote, mais en reconstruisant son cadre. Le résultat n’est pas seulement financier : c’est institutionnel et réputationnel. Si cette route est tenue, 2026–2030 pourrait être la décennie où le Sénégal passe de bon élève à référence en matière de reset macroéconomique responsable sur le continent.
Abdoul Kambane DIEDHIOU
Président – Comite Initiative CNACL

