Situé au niveau de la Corniche ouest de Dakar, le village artisanal de Soumbédioune se dresse comme un sanctuaire de l’art sénégalais. Plus qu’un marché, ce lieu rempli d’objets d’art est un espace de mémoire, où traditions, savoir-faire et modernité se rencontrent.
À l’ère du désintérêt pour les lieux d’art, le village artisanal de Soumbédioune, considéré comme le sanctuaire de l’artisanat sénégalais, situé sur la Corniche ouest de Dakar, offre aujourd’hui un spectacle singulier. Un art qui se vit au quotidien par les artistes et les esthètes. En cette belle matinée de septembre, l’ambiance est étonnamment silencieuse.
Tout juste à l’entrée, quelques personnes franchissent les escaliers de la grande allée centrale remplie de sable. Au fond, à l’intérieur du village, l’ambiance est morose, un silence lourd comparable à celui d’un cimetière. Quelques personnes circulent, timidement, observant les objets posés à même les étals, tandis que les artisans, assis devant leurs ateliers, attendent les premiers clients du jour.
Derrière cette apparente torpeur, les gestes se poursuivent. Amadou Niane, sculpteur sur bois, polit avec patience une statuette. Ses mains tachées et rugueuses racontent autant d’histoires que ses œuvres exposées à la devanture de son atelier.
« J’ai appris ce métier auprès de mon grand-père. Je pratique ce métier depuis plus de trente ans. C’est une immense passion pour moi. Chaque coup de ciseau, chaque courbe a un sens. Quand je sculpte, je pense toujours à ceux qui m’ont précédé », confie-t-il.
Fondé dans les années 1960 pour rassembler les artisans du pays, le village artisanal de Soumbédioune, lieu de production, d’exposition et de vente des œuvres des artisans sénégalais, vit toujours malgré ses maigres moyens quotidiens. Ici, l’artisanat se transmet par le regard, par l’imitation, sans manuels ni écoles officielles.
Les ateliers deviennent des lieux d’apprentissage informels, où des enfants observent, poncent et s’essaient à reproduire des gestes séculaires. Au fil des allées, les créations s’alignent comme dans une galerie à ciel ouvert. Ainsi, d’une allée à une autre, se trouvent exposés sur des étals des masques aux traits sévères, des bijoux en bronze, des peintures sous verre aux couleurs éclatantes. Chaque objet porte une histoire, s’exclame Anta Faye, une jeune bijoutière.
« Un collier n’est pas seulement un ornement. Chaque motif a une signification. Pour mon cas, j’essaie de mélanger ce que mes oncles m’ont appris avec des formes plus modernes, pour parler aussi aux femmes de ma génération. »
Si pour beaucoup des lieux comme le village artisanal de Soumbédioune ne revêtent plus leur valeur d’antan, pour d’autres, ce lieu d’art représente la vitrine de l’artisanat sénégalais.
« Quand certains parlent du village artisanal de Soumbédioune, ils pensent subitement à l’art et ils se limitent uniquement à cette façon très mesquine et réductrice des lieux d’art comme celui-là », informe Abdoulaye Dièye, guide trouvé sur les lieux.
Selon lui, l’art n’est jamais décoratif et sert toujours à quelque chose. « Il est mémoire et symbolise le dialogue entre les générations. Un masque protège, un tissu raconte une identité, une peinture immortalise une croyance », poursuit-il à la fin.
Ce vendredi ordinaire, le village reste relativement calme. Quelques touristes se trouvent de part et d’autre des lieux. Appareils photo en bandoulière, ils s’aventurent entre les ateliers. Ils écoutent attentivement les récits des artisans qui transforment chaque vente en leçon d’histoire. Les minutes et les voix s’élèvent à peine comme pour ne pas troubler l’atmosphère recueillie du lieu.
Plus qu’un simple village
« Les Dakarois eux-mêmes viennent ici pour des occasions précises : un objet à offrir, une décoration pour une maison, ou simplement pour renouer avec une part de leur culture. Cette diversité de visiteurs fait de Soumbédioune un carrefour d’échanges culturels, où se croisent le local et l’universel », nous informe A. Dièye.
Soumbédioune, plus qu’un village artisanal, n’est pourtant pas figé dans le passé. Certains artisans adaptent leurs créations à une clientèle internationale. Les masques sont réduits à des formats transportables, les peintures adoptent des styles contemporains, les bijoux empruntent à la mode urbaine.
« Je crée pour aujourd’hui avec les techniques d’hier. Cela me permet de faire cette transition entre les différentes générations, mais surtout de gagner de l’argent pour vivre et faire vivre ma famille », explique Ousmane Baylo, peintre d’une trentaine d’années. Dans son atelier, des motifs traditionnels se mêlent à des portraits modernes, preuve que l’art sénégalais évolue sans jamais renier ses racines.
Derrière l’esthétique, les difficultés persistent. La dépendance au tourisme rend les revenus aléatoires. Les matières premières, les bois et encore les métaux sont de plus en plus coûteux. Au-delà de ces contraintes, il y a la concurrence de produits importés, souvent moins chers mais dépourvus d’authenticité, qui menacent le travail local.
Face à ces défis, les artisans tentent de s’organiser. Certains créent des coopératives, d’autres misent sur les réseaux sociaux pour vendre au-delà des frontières. Anta Faye, bijoutière, en est convaincue.
« Notre avenir dépendra de notre capacité à rester fidèles à notre culture tout en nous ouvrant au monde. C’est le seul moyen pour nous de perdurer encore dans le marché », indique-t-elle. À mesure que la journée avance, le village s’anime doucement. Les couleurs des toiles, l’éclat des bijoux et le parfum du bois ciré redonnent vie aux allées silencieuses.
Soumbédioune apparaît alors comme ce qu’il est réellement, un musée à ciel ouvert, où les artisans sont à la fois conservateurs d’un patrimoine et créateurs d’une culture en mouvement. Le temps semble suspendu, mais l’artisanat continue de battre au rythme des gestes quotidiens. Plus qu’un simple marché, la vitrine de l’artisanat sénégalais est un lieu où l’art se vit dans la rencontre entre le passé et l’avenir.
Par Mamadou Elhadji LY (Stagiaire)

