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Attendue depuis tout ce temps, la Cour des comptes a enfin rendu public son rapport. Dès les premières pages, on tombe sur cet intertitre : Rattachement irrégulier de recettes. Si selon le principe de la comptabilité de caisse, les recettes doivent être comptabilisées dans la gestion au cours de laquelle elles sont encaissées, la Cour constate, à la Recette générale du Trésor, des rattachements irréguliers consistant à comptabiliser des recettes recouvrées en année N à l’exercice N-1. Selon elle, les rattachements irréguliers ont pour effet d’augmenter les recettes de l’année N-1 et, par conséquent, de minorer le déficit budgétaire de la même année enregistré dans le Tableau des Opérations financières de l’État (TOFE). D’ailleurs, elle indique que l’incidence des rattachements sur le déficit en 2019 et 2020 n’a pu être déterminée en raison de la non-transmission par la DGD des situations y relatives.

Ce que la Cour reproche à la Douane à la DGID

D’autre part, nous voyons ce que la Cour appelle : situation non exhaustive des restes à recouvrer (RAR). Ici, le rapport souligne que les restes à recouvrer s’élèvent à 408,2 milliards de F CFA et ne tiennent pas compte des créances douanières liquidées d’un montant de 261,71 milliards de F CFA. « Malgré leur importance, les droits de douane ne font pas l’objet d’un suivi administratif et comptable centralisé, contrairement aux impôts directs enrôlés. L’omission des créances douanières altère la précision des données relatives aux restes à recouvrer et donne une image incomplète de leur situation », déplore la Cour.

S’ajoute à cela, la situation non exhaustive des dépenses fiscales. La Cour fait constater que le rapport du Gouvernement n’inclut pas les données relatives aux dépenses fiscales pour les années 2022 et 2023. Sollicitée par la Cour, la DGID n’a pas produit la situation des dépenses fiscales au titre des années 2022 et 2023 évoquant « des contraintes liées à la disponibilité des données » qui font que ladite situation n’est faite qu’à l’année n+2. Non sans rappeler que l’absence de rapports d’évaluation des dépenses fiscales pour les gestions 2022 et 2023 est contraire à la Décision n°08/2015/CM/UEMOA du 2 juillet 2015 instituant les modalités d’évaluation des dépenses fiscales dans les États membres de l’UEMOA.

Quant à la situation des dépenses produites par le Gouvernement, la Cour dira que la masse salariale est passée de 744,96 milliards de F CFA en 2019 à 1 303,50 milliards de F CFA en 2023, soit une évolution de 74,97%. Les transferts représentent en moyenne 77% des dépenses exécutées dans le système support du budget programme (SYSBUDGEP). »

D’importants transferts au profit des services non personnalisés de l’Etat (SNPE)

D’après le rapport de la CC, les services non personnalisés de l’État (SNPE), entités dépourvues de personnalité juridique, ont bénéficié, durant la période sous revue, de transferts budgétaires d’un montant total de 2 562,17 milliards de F CFA, représentant 28,06% des transferts globaux du budget général. Pourtant, rappelle la Cour, l’Etat ne doit pas accorder à ses propres services des transferts de crédits ; ceux-ci devant bénéficier de crédits de fonctionnement ou d’investissement. D’ailleurs, elle constate pour le déplorer que les transferts au profit des services non personnalisés de l’Etat, exécutés à travers des comptes de dépôt ouverts au Trésor et confiés à des gestionnaires nommés par le Ministre chargé des finances, mobilisent d’importantes sommes dont la gestion comporte plusieurs manquements. A titre illustratif, la Cour a examiné la situation d’exécution des comptes « CAP/Gouvernement » et « Programme de Défense des Intérêts économiques et sécuritaires du Sénégal (PDIES). »

D’importantes ressources d’un montant de 1 343 577 555 142 F CFA sont décaissées à travers le compte de  dépôt CAP/Gouvernement…  

Il ressort de leurs découvertes que le compte de dépôt CAP/Gouvernement est créé le 25 juin 2012 au profit de la Cellule d’appui à la mise en œuvre des Projets et Programmes (CAP) pour suppléer au financement des activités de cette structure par le PNUD. L’objectif général est de contribuer à l’amélioration du niveau et de la qualité d’exécution des projets et programmes. Le compte de dépôt ouvert dans les livres de la Trésorerie générale est mouvementé par le Directeur de l’Ordonnancement des Dépenses publiques (DODP). Sur la période sous revue, d’importantes ressources d’un montant de 1 343 577 555 142 F CFA sont décaissées à travers ce compte.

…Le compte de dépôt enregistre, en 2023, le remboursement d’une dette bancaire d’un montant de 305 943 167 977 F CFA sans lien établi avec l’objet pour lequel il a été créé

Cependant, des décaissements sont effectués en 2022 par le Trésorier général sur ordre du Directeur général du Budget qui n’est pas le gestionnaire du compte. Il s’agit notamment du paiement de 6 481 740 000 F CFA au profit d’Envol Partenariat S.A, au titre du loyer (deuxième semestre 2022) de la Maison des Nations Unies à Diamniadio ; 1 205 237 681 F CFA au profit de DP WORLD au titre du complément de l’achat des 30% d’actions de DP WORLD pour le compte de l’Etat du Sénégal ; 4 000 000 000 F CFA au profit d’Air Sénégal. Sur cette question, le Ministère des Finances et du Budget précise dans sa réponse que le Directeur général du Budget, qui n’est pas le gestionnaire du compte, ne peut donner d’ordre au Trésorier général de payer une dépense. La Cour maintient que par lettres n°00260 MFB/DGB/DODP du 06 juillet 2022, n°00269 MFB/DGB/DODP du 14 juillet 2022 et n°00270 MFB/DGB/DODP du 14 juillet 2022 signées par le Directeur général du Budget, les décaissements susmentionnés de montants respectifs de 6 481 740 000 F CFA, 1 205 237 681 F CFA et 4 000 000 000 F CFA sont effectués par le Trésorier général et bien retracés dans le relevé du compte de dépôt n°3683047 « CAP/Gouvernement ». Par ailleurs, le compte de dépôt enregistre, en 2023, le remboursement d’une dette bancaire d’un montant de 305 943 167 977 F CFA sans lien établi avec l’objet pour lequel il a été créé. Il s’y ajoute, poursuit la Cour, que les remboursements sont effectués en dehors des procédures normales prévues par la réglementation en matière de gestion de la dette publique

Des affectations de 125 000 000 000 F CFA et 4 022 122 869 F CFA dans des comptes sont effectuées en dehors des procédures de la loi de finances

Pour le compte de dépôt Programme de Défense des Intérêts économiques et sécuritaires du Sénégal (PDIES), il est est créé, selon la Cour, par décret n° 2017-74 du 12 janvier 2017. Sur la période sous revue, un montant de 303 031 260 751 F CFA est décaissé à travers ce compte, constate la Cour. Et en plus des transferts budgétaires, les comptes de dépôt « CAP/Gouvernement » et « Programme de Défense des Intérêts économiques et sécuritaires du Sénégal (PDIES) » reçoivent des affectations de trésorerie sur autorisation du Ministre chargé des finances. C’est le cas, dira le rapport, de l’autorisation accordée en 2023 d’imputer les ressources mobilisées auprès de l’investisseur CGL dans les comptes de dépôt CAP Gouvernement et PDIES pour des montants respectifs de 125 000 000 000 F CFA et 4 022 122 869 F CFA. Ces affectations sont effectuées en dehors des procédures de la loi de finances. Et outre les problèmes relevés sur l’exécution des comptes de dépôt sus indiqués, une utilisation irrégulière des soldes créditeurs des comptes de dépôt est constatée, ajoutera la Cour.

En fin d’année 2023, des prélèvements d’un montant de 407 550 717 701 F CFA sont opérés sur des soldes créditeurs des comptes de dépôt pour être affectés à d’autres comptes sur autorisation du Ministre chargé des Finances

Ainsi, en fin d’année 2023, des prélèvements d’un montant de 407 550 717 701 F CFA sont opérés sur des soldes créditeurs des comptes de dépôt pour être affectés à d’autres comptes sur autorisation du Ministre chargé des Finances. Ces prélèvement/affectations contreviennent aux dispositions de l’arrêté n°21136 du 21 novembre 2017, modifié, qui prévoient, pour les soldes créditeurs de ces comptes de dépôt, le report ou la comptabilisation en recettes exceptionnelles. Interpellé sur cette situation, le Ministre des Finances et du Budget affirme que les opérations de prélèvement et d’affectation sur comptes de dépôt « sont effectuées, conformément aux attributions du Ministre chargé des Finances relativement aux opérations de trésorerie de l’Etat (article 1er alinéa 2 du décret n° 2024-948 relatif aux attributions du Ministre des Finances et du Budget).

Des discordances sur les données des ressources extérieures

L’analyse des données sur les ressources extérieures permet de faire les constats ci-après. Selon la Cour, figurent parmi ces constats, des variations notées dans les situations produites par la DODP (Direction de l’ordonnancement des dépenses publiques) ; des écarts entre les données sur les prêts projets communiquées par la DODP et celles du TOFE (Tableau des opérations financières de l’Etat) ; des discordances des tirages sur les prêts projets entre la DDP (Direction de la dette publique) et la DODP.

L’écart global entre la dernière situation produite par la DODP et celle figurant dans le rapport du Gouvernement est de 143,98 milliards de F CFA

Des variations notées dans les situations produites par la DODP, la Cour a relevé des discordances entre la dernière situation produite par la DODP et les données du rapport sur la situation des finances publiques. L’écart global entre la dernière situation produite par la DODP et celle figurant dans le rapport du Gouvernement est de 143,98 milliards de F CFA. Par ailleurs, si la Cour a procédé à un échantillonnage de 09 bailleurs dont les financements couvrent 97,84% des ordonnancements des dépenses sur ressources extérieures sur la période de 2019 à mars 2024, les rapprochements effectués ont permis de constater des écarts entre les ordonnancements de la DODP et ceux enregistrés dans les plateformes de certains bailleurs. Interpellé sur ces constats, le Directeur de l’Ordonnancement des Dépenses publiques a transmis une nouvelle situation des ordonnancements qui présente encore des écarts. Selon le DODP, ces variations notées s’expliquent essentiellement par l’annulation de montants déjà ordonnancés et transmis aux bailleurs, l’omission d’enregistrements d’ordonnancements, les erreurs d’écriture et les corrections apportées après vérification.

Une partie de l’encours de la dette n’est pas retracée dans les documents de suivi de la DDP

Aussi, la Cour note-t-elle des écarts entre la situation des tirages sur prêts projets nets des rétrocessions et des soldes des comptes bancaires ouverts pour le compte de projets et programmes communiquée par la DODP et celle enregistrée au TOFE. Le montant des dépenses financées sur « prêts projets » nets des rétrocessions et soldes des comptes bancaires communiqué par la DODP à la Cour est supérieur à celui qu’elle a produite et enregistrée dans le TOFE ; ce qui a pour effet, selon la Cour, de réduire le déficit budgétaire affiché. D’ailleurs, la comparaison entre la situation des dépenses exécutées sur ressources extérieures communiquée par la DODP à la Cour et les prévisions de la LFI montre des écarts importants.

Selon la Cour, sur toute la période sous revue, à l’exception de l’année 2020, les dépenses d’investissement financées sur ressources extérieures dépassent les prévisions de la LFI. A titre illustratif, en 2023, les dépassements représentent 84,4% des prévisions de la LFI.

Dans les discordances sur les tirages des prêts projets entre la Direction de la Dette publique (DDP) et la DODP, la Cour constate également des écarts entre les données de la DODP et les tirages des prêts projets suivis par la DDP comme indiqué dans le tableau qui suit. Les données de la DODP sont supérieures aux tirages de la DDP ; ce qui signifie, selon elle, qu’une partie de l’encours de la dette n’est pas retracée dans les documents de suivi de la DDP.

Le surplus des financements, l’autre scandale

Dans la rubrique destinée au besoin de financement et ses modalités de couverture, la Cour, citant le Gouvernement, dira que le besoin de financement a évolué entre 2019 et 2023 passant de 1 227,68 milliards de F CFA à 2 642,70 milliards de F CFA, même si ce besoin est essentiellement couvert par emprunt. Durant la période sus indiquée, l’Etat a emprunté, selon la Cour, plus que de besoin dégageant ainsi un surplus de financement à l’exception de l’année 2022. Celui de l’année 2023 s’élève à 604,12 milliards de F CFA.

Le déficit calculé et annoncé au FMI est très loin de sa valeur réelle, constate la Cour

D’ailleurs, selon la Cour, le déficit calculé et annoncé au FMI sur la période sous revue est très loin de sa valeur réelle si l’on prend en compte le volume exact des décaissements des emprunts projets. Par ailleurs, l’amortissement de la dette qui constitue l’autre poste explicatif du besoin de financement a évolué en passant de 589,98 milliards de F CFA en 2019 à 551,19 milliards de F CFA en 2020, 778,3 milliards de F CFA en 2021, 944,1 milliards de F CFA en 2022, 1269,1 milliards de F CFA en 2023 et 1248,2 milliards de F CFA en prévision pour 2024.

L’encours de la dette publique et les engagements de l’Etat vis-à-vis du secteur bancaire montrent également à quel point le carnage financier est une réalité. En effet, selon la Cour, les dettes de l’Etat vis-à-vis du secteur bancaire sont passées de 781,30 milliards de F CFA en 2019 à 2 219,79 milliards de F CFA à la fin de l’exercice 2023, même si les données sur les cinq (5) dernières années sont incomplètes, a-t-elle précisé. Partant des déclarations des établissements de crédit installés au Sénégal, il ressort que la dette globale de l’Etat et ses démembrements s’élève au 31 mars 2024 à 3 816,69 milliards de F CFA dont 3 091,40 milliards de F CFA sont dus par l’Etat central. Ce qui représente 81,00% de l’encours. Les crédits directs sont en grande partie contractés par l’Etat central (2 044,0 milliards de F CFA ; 74,52%). Il en est de même des titres qui sont essentiellement détenus sur le Trésor public (1 047,65 milliards de F CFA ; 98,65%). Il y est noté des certificats nominatifs d’obligations émis au profit de quatre (4) établissements pour un encours de 190,05 milliards de F CFA. Des discordances sur les données de l’amortissement, de l’encours de la dette publique et des disponibilités bancaires sont à noter.

Un écart de 81 milliards de F CFA noté sur l’encours de la dette

Sur l’amortissement de la dette, les données de 2019 à 2023 indiquées dans le rapport du Gouvernement ne sont pas concordantes avec celles des PLR/LR, selon le rapport de la Cour. Les données présentées dans le rapport du Gouvernement ne reprennent pas correctement les situations transmises par la DDP et retracées dans les lois de règlement, renchérit le document.

Sur l’encours de la dette, 13 773 milliards de F CFA de la dette de l’Administration centrale au 31 décembre 2023 présenté dans le rapport du Gouvernement est différent de celui de 13 854 milliards de F CFA retracé dans le PLR 2023, soit un écart de 81 milliards de F CFA.

Un écart de 104,87 milliards de F CFA noté sur les disponibilités bancaires

Et sur les disponibilités bancaires, sa situation transmise à la Cour par le Trésorier général est arrêtée à 278,47 milliards de F CFA au 31 décembre 2023 alors que le rapport du Gouvernement indique un solde de 173,6 milliards de F CFA, soit un écart de 104,87 milliards de F CFA. Toutefois, la circularisation auprès de la banque B.A. révèle l’existence d’un solde créditeur au 31 décembre 2023 d’un montant de 479 607 713 FCFA du compte n°80130730000 ouvert au nom du Trésorier général mais non communiqué par le Trésor ; d’un solde au 31 décembre 2023 de 3 141 FCFA en lieu et place de 15 000 003 141 FCFA enregistré au compte n°80080030000 ouvert au nom de l’Etat du Sénégal et géré par le Ministre chargé des finances que le Trésorier général a indûment intégré dans ses disponibilités. Au total, les disponibilités du Trésor au 31 décembre 2023 sont arrêtées à 263,95 milliards de F CFA.

Un virement de 15 milliards de F CFA utilisé pour payer des dépenses non autorisées au profit de divers fournisseurs

Le Trésorier général admet que le compte est bien ouvert à son nom. Il ajoute, d’après la Cour, que « le solde dudit compte, ouvert dans les livres de la Banque B.A. au 31 décembre 2023, est bien de 15 000 000 141 FCFA. Ce solde résulte de la réalisation d’une opération de trésorerie (mouvement de fonds) constatée le 29 décembre 2023 dans ses livres (cf. attestation bancaire de réception de fonds fournie par la Banque B.A. et de la référence de l’opération jointe en annexe n°1). En considérant le relevé transmis par la Cour des Comptes, il est constaté que le montant de 15 000 000 000 qui fait la différence est passé au crédit du compte en début d’année 2024 (03 janvier 2024). Ce qui résulterait d’un problème technique au niveau de la Banque. Sur cette base, il est sollicité de la Cour des Comptes le rajout de ce montant aux disponibilités du Trésorier général au 31 décembre 2023 qui doivent ressortir à un montant de 278,47 milliards de F CFA ». Le Trésorier général a produit une attestation de la banque B.A. confirmant l’existence d’un virement d’un montant de 15 000 000 000 F CFA à la date du 29 décembre 2023 dans le compte n°80130730000 ouvert à son nom. Toutefois, la Cour souligne que le relevé transmis par la banque affiche un solde de 479 607 713 F CFA à la date du 31 décembre 2023. En réalité, le Trésorier général a procédé le 29 décembre 2023, à partir de son compte règlement ouvert à la BCEAO, à un virement d’un montant de 15 milliards de F CFA dans le compte n°80130730000 ouvert à son nom dans les livres de la banque B.A. Ce virement positionné le 02 janvier 2024 est transféré le même jour dans le compte n°80080030000 ouvert au nom de l’Etat du Sénégal dans la même banque et géré par le Ministre chargé des finances. Le montant est aussitôt utilisé pour payer des dépenses non autorisées au profit de divers fournisseurs. En définitive, la Cour retient le solde de 479 607 713 F CFA au 31 décembre 2023 ; ce solde n’a pas varié en fin janvier 2024. Par ailleurs, la situation des disponibilités du Trésor présentée dans le rapport du Gouvernement n’inclut pas les dépôts à terme (DAT) (Cf. point 2.4) ainsi que les soldes des comptes ouverts par les ministres chargés des finances au nom de l’Etat du Sénégal.

Amadou DIA 

editor

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